ART FIGURATIF
I) LES QUAIS
Lorsque l'appel d'une chose couvre le bruit de fond du monde, je prends l'objectif à témoin de ce que je vois, je circonscris le territoire propice au départ de feu et je passe la zone au peigne fin.
Mes prises de vues sur les quais sont à la base de mon travail pictural. Elles font l'objet de différents découpages et montages qui bouleversent la perception spatiale des choses. Ce sont des "données mêlées" à partir desquelles s'opère l'ajustement jubilatoire d'une image imprévue.
Le conscient saisit les images de la réalité qu'il veut décrypter et l'inconscient associe spontanément certaines images entre elles.
Le montage n'obéit à aucune méthode de construction. Il est obtenu quand un ajustement extérieur coïncide avec un flash intérieur.
La ressemblance présente toujours du jeu. Elle résulte d'une tension entre représentation et imagination, entre réalisme et abstraction.
Les apparences sont trop trompeuses pour que je veuille les sauver dans mes tableaux.
Je décompose une figure du visible pour composer un "fait plastique" porteur d'une signification critique.
Epaux-Bézu 2003
II) VERSANTS ABRUPTS - FRAGMENTS
ZOOM
« Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux. » - Marcel Proust
« Quand on a obtenu ce qu’on a voulu d’un domaine particulier, quand on a exploité les possibilités inhérentes à une certaine direction, il faut bien virer de bord, chercher quelque chose de nouveau (…) On doit toujours garder son oeil, un oeil neuf ; on doit suivre ses instincts. » - Henri Matisse
Lorsqu'une chose attire mon regard, je la photographie en "gros plan" :
- pour ne pas voir trop de choses à la fois
- pour avoir un œil sur l'objectif
- pour que le regard que je porte sur la chose me rende sa copie
- pour avoir une seconde vue sur la pellicule du visible.
Quand je regarde la photo d'une chose, une image de la chose s'est substituée à la réalité de la chose. J'ai sous les yeux une photo souvenir mais une photo qui donne la distanciation qu'il m'est nécessaire d'avoir vis à vis de la chose vue.
Les yeux se situent à la limite entre le dedans et le dehors mais ils font corps avec leurs lignes arrière.
La vision ouvre la part du champ visuel que cerne l'objectif.
Lorsque je photographie, je prends une vue de la chose. Lorsque je peins, je donne une vision de la chose.
La chose est visible et la photo de la chose est prévisible mais le tableau de la chose est imprévisible.
III) ROCHES ET VÉGÉTAUX
Le sujet du tableau ne fait l’objet d’aucun avis de recherche. C’est à l’improviste et souvent là où je ne l’attends pas que le motif me saute aux yeux.
« Ce qui est vu autrement, ce qui est vu, en quelque sorte, de l’intérieur de nous-mêmes, bien que vu au dehors, semble rejoindre en nous ce que nous avons de plus intime, ou ne se révéler tout entier qu’au plus intime de nous » Philippe Jaccottet -
Au cours du travail de la matière picturale, la composition plastique du tableau se substitue à la représentation du motif dès que je donne forme au désordre apparent de la nature. Lorsque l'articulation des lignes directrices et l'orchestration des couleurs constituent un ensemble cohérent, le tableau est ce qu'il doit être, "un fait plastique". Il se suffit à lui-même sans qu'il soit nécessaire de le justifier par des éléments anecdotiques ou théoriques. Toutefois à la différence des plasticiens purement abstraits, je mets d'autant moins "le sujet à l'index" que le ressenti qu'il provoque est à l'origine de mon désir de peindre une réalité vécue.
Ma peinture n’est pas démonstrative et n’a pas de message explicite à délivrer. Quelque soit son degré de figuration ou d’abstraction, elle prend sens au terme de l’accord signé sur la toile entre la vue du motif et la vision plastique.
Epaux-Bézu 2007